Nos enfants, ces héros !

Extraits du Sport & Vie n° 169 – Article de Sébastien Rafel

Un article qui devrait faire réfléchir si l’on admet que, dès la plus petite enfance, on apprend aux élèves à se taire et à s’asseoir. L’ère du tout numérique n’arrange pas les choses.

De nouvelles études font état d’un déclin des capacités physiques des enfants au fil des générations. Statistiquement, ils sont moins en forme que leurs parents au même âge. Les tests montrent que les performances en endurance régressent d’environ 1% par an.

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Avez-vous déjà observé des enfants dans une cour de récréation ? Ils sont là, puis là. Ils sprintent. Ils sautent. Ils se bousculent. Soudain ils s’éclipsent comme une nuée d’étourneaux. On les retrouve à l’autre bout de la cour. Toujours en train de se chamailler ! Une expérience très facile à réaliser consiste à leur faire porter un bracelet d’activité. On verra alors qu’à l’issue d’un après-midi de jeu, ces enfants pré-pubères auront souvent parcouru des distances bien supérieures à dix kilomètres. Tout cela sans échauffement, sans récupération et, surtout, sans fatigue apparente ! Mettez un adulte à leur place : il finira sur les genoux. Même un adolescent sera exténué. La chute brutale des activités spontanées fait d’ailleurs partie de ces processus de l’adolescence qui transforment radicalement la personne en l’espace de quelques années, parfois même en quelques mois seulement. On devrait mieux en tenir compte dans notre système éducatif. Mais non ! Nous nous obstinons à être presque systématiquement à contre-courant des inclinations de l’enfant.

Dans les premières années de sa vie, il est avide de découvertes et de mouvement. Il veut marcher, sauter, courir, grimper aux arbres et mille autres choses encore. « Tiens-toi tranquille » intiment souvent les parents que tant d’énergie désarçonne. Quelques années plus tard, ça y est ! L’enfant a bien assimilé les recommandations d’oisiveté. Il se tient tranquille. Il traîne même des journées entières devant l’ordinateur ou la télévision. Et quels sont alors les messages qu’on lui adresse ? « Bouge- toi un peu, fais du sport ! »

Plusieurs chercheurs se sont penchés sur cette folle prodigalité de l’enfance. Certains ont même fait le rapprochement avec une autre population qui frappe elle aussi les esprits par ses prouesses physiques, celle des sportifs. Lorsqu’on compare les meilleurs chronos en sprint par exemple, on réalise que le « gap » entre ces deux groupes est relativement étroit. A 12 ans, beaucoup d’enfants défient leurs parents à la course. Parfois, ils se montrent effectivement plus rapides qu’eux. Cela se vérifie pour des performances de haut niveau.

Notez toutefois que, sur des distances plus grandes, le fossé s’agrandit et les performances des adultes restent hors de portée des enfants. Le constat serait le même : les enfants sont performants lors d’efforts brefs. En revanche, ils sont mal armés pour faire face à des exercices longs et à intensité constante. Ceux qui pratiquent leur jogging, accompagnés de leurs fils ou de leurs filles, l’auront sans doute déjà remarqué. Les gosses s’épuisent plus rapidement que les adultes. La raison de cette plus grande fatigabilité vient de leurs capacités cardio-respiratoires. Le cœur et les poumons sont de taille réduite. De ce fait, l’apport en oxygène dans les cellules est moindre. De plus, le style de course des enfants manque d’efficacité sur le plan énergétique. Ne serait-ce qu’en raison de leur petite taille. Ils sont obligés de faire un plus grand nombre de pas pour se déplacer à une allure donnée. Ce qui les fatigue vite ! Cela dit, ils compensent ces handicaps par des aptitudes métaboliques souvent supérieures à celles de leurs parents. Notamment l’endurance musculaire. Ils accumulent moins de « déchets » au cours de l’effort. Par exemple, ils sont capables d’éliminer plus rapidement les protons H+ à l’origine des poussées d’acidité qui, progressivement, empêchent la poursuite de l’effort. La vitesse de sortie des protons du muscle, appelée « l’efflux protonique », a été mesurée précisément : elle est environ trois fois plus rapide chez les enfants que chez des adultes non- entraînés. Ils font aussi moins de lactate et moins de phosphate inorganique. Cela leur permet de conserver plus longtemps des capacités contractiles optimales. [..] ils véhiculent moins d’oxygène vers les cellules. [..] En revanche, ils adaptent remarquablement bien le débit aux besoins. Normal ! Étant plus petits, leur sang doit parcourir moins de chemin avant de parvenir aux cellules musculaires. Enfin, les études ont également montré des différences de typologie musculaire. Ainsi, celle des enfants se caractérise par une proportion plus élevée de fibres lentes (résistantes à la fatigue) et une plus grande activité des enzymes impliquées dans la combustion complète des glucides et des lipides. Récemment, une étude a montré que cet environnement est tout à fait comparable à celui des athlètes de haut niveau.

Les rois de la récup’

Cette exceptionnelle prédisposition des enfants aux efforts aérobies présente encore d’autres avantages. Comme ils récupèrent plus rapidement que leurs aînés, ils rencontrent moins de difficulté pour reproduire des efforts intenses à cadences rapprochées. Après un sprint de trente secondes, les enfants entre 9 et 12 ans retrouvent leur puissance maximale en seulement deux minutes, alors qu’il faut environ dix minutes aux adultes pour parvenir au même résultat. De plus, lorsque les enfants répètent des sprints courts (moins de dix secondes) séparés par des pauses brèves (de quinze à trente secondes), leur niveau de performance reste plus ou moins constant. En tous cas, il baisse moins nettement que chez des adultes soumis au même programme. Lors d’études qui consistaient à mesurer précisément le temps nécessaire à la reconstitution des stocks de phosphocréatine, on a vu que la moitié des réserves initiales était restaurée après seulement douze secondes de repos chez les jeunes entre 6 et 12 ans, tandis que 27 secondes étaient nécessaires aux adultes. Notez que ces paramètres sont sensibles à l’entraînement. Des athlètes de 25 ans capables de courir un 10.000 mètres en moins de 32 minutes affichaient eux aussi une durée de reconstitution des stocks de phosphocréatine de l’ordre de douze secondes, égale à celle des enfants. Sur le plan cardiorespiratoire, on note aussi des différences. La fréquence cardiaque de l’enfant revient plus vite à la normale après l’exercice. Là encore, on peut faire l’analogie avec les sportifs de haut niveau. Pour les uns comme pour les autres, il s’agit d’une meilleure réactivation parasympathique du système nerveux autonome. Au bout du compte, on comprend que les enfants sont des êtres difficilement fatigables parce que les échanges en oxygène se font plus facilement chez eux en raison de leur petite taille et qu’ils ont des muscles très endurants qui fonctionnent majoritairement en aérobie. Ils auront donc, par nature, tendance à s’épuiser moins vite que les adultes. Pas tellement dans les efforts prolongés (leur économie de course étant plus faible) mais plutôt en raison de leur récupération plus rapide lors d’efforts intenses et répétés.

Dans l’introduction, on comparait nos enfants à des super-héros. Est-ce que l’analogie vaut aussi face aux blessures? Il s’agit de savoir comment leurs muscles réagissent aux sollicitations extrêmes de l’entraînement et s’ils se blessent aussi facilement que les adultes. Première constatation: il est assez rare d’entendre un enfant se plaindre de courbatures. Certes, il arrive après un exercice exceptionnel qu’ils se sentent plus raides qu’à l’accoutumée. Mais cela ne dure pas et on n’atteint jamais les états de quasi-paralysie qui, dans les mêmes circonstances, constituent le sort de leurs aînés. Cette constatation concorde avec le résultat des dosages sanguins. Ainsi la concentration en créatine kinase (un des bio-marqueurs des dommages musculaires) est systématiquement plus faible dans le sang des enfants après un effort excentrique que dans le sang des adultes. Une explication réside dans leur exceptionnelle « compliance » tendineuse. Par ce terme, on désigne la capacité que possède le tendon de s’étirer comme un élastique et d’atténuer de cette façon les pics de force, préservant les fibres musculaires des micro-lésions qui pourraient survenir. Les tendons agissent comme des « silent blocs » qui absorbent les contraintes mécaniques. Par rapport aux adultes, les enfants ont aussi l’avantage de ne pas présenter la même hypertrophie musculaire. Cela s’explique par leur faible production d’hormones sexuelles. Or la testostérone est indispensable à la prise de masse. Avant la puberté, les muscles restent graciles, ce qui explique aussi que, durant l’enfance, on distingue moins facilement les individus sportifs des non-sportifs alors que cette classification est beaucoup plus évidente chez les adultes. Un coup d’œil suffit. N’en déduisez pas que l’entraînement ne change rien aux performances des enfants. Au contraire ! Plusieurs études montrent qu’ils répondent bien à un programme de développement de la force. Après dix semaines d’entraînement, des garçons de 9 à 11 ans peuvent ainsi améliorer de 12% leurs performances dans un test mesurant la force des cuisses sans que leurs muscles ne grossissent vraiment. Mais ces enfants tirent profit d’une meilleure coordination motrice et, peut-être aussi, de changements d’architecture musculaire avec la mise en place d’un angle de pennation (ou d’orientation). De plus, ils ont un fort potentiel de développement de leurs qualités d’explosivité. A l’issue d’un entraînement en pliométrie incluant des séries de sauts en contre-bas et de multi-bonds, on obtient une amélioration nette de l’efficacité de leur système musculo-tendineux à restituer l’énergie élastique lors d’un cycle étirement-détente. Ceci dit, il ne sert à rien de vouloir trop en faire. Et si on ajoute dix nouvelles semaines d’entraînement au programme de renforcement musculaire précédent, le gain reste très faible (à peine 2%). On en déduira qu’il existe un niveau optimal de sollicitation pour atteindre son plein potentiel. Mais qu’on perd son temps à vouloir le dépasser. Pire même : on risque de se blesser. Car l’enfant n’est pas à l’abri des lésions. Loin de là ! Si ses muscles sont costauds, il se révèle fragile sur le plan ostéo-articulaire, notamment dans la phase de croissance rapide qui survient à la puberté. Cette période se caractérise en effet par une raideur musculo-tendineuse augmentée en raison de l’allongement plus rapide du squelette par rapport aux muscles. Pour s’en rendre compte, il suffit d’allonger sur le ventre un enfant en pleine phase de croissance et de lui plier le genou. Il est fort probable que le talon ne parvienne pas à toucher la fesse. En fait, son quadriceps est temporairement trop court par rapport à un fémur qui a grandi rapidement. Associée aux tractions intenses d’un entraînement trop poussé, cette raideur peut conduire à un morcellement de l’os au point d’insertion des tendons et à la formation de protubérances qu’on appelle « ostéochondroses de croissance ». Les plus connues apparaissent au niveau du tibia (maladie d’Osgood-Schlatter), du talon (maladie de Sever) et du coude (maladie de Panner). Parfois, cela implique qu’on arrête le sport pendant des semaines, des mois ou même des années. Attention aux lésions dites de surmenage comme lorsqu’on entraîne des enfants pour participer à des longues épreuves de course à pied. Rappelez-vous toujours que leurs jambes sont proportionnellement plus petites que celles des adultes et qu’ils jouissent donc d’un espace d’amortissement moins important. En outre, la dissipation des impacts s’effectue sur des structures osseuses en pleine phase de construction. En conclusion, un entraînement spécifique pour des épreuves de longue durée comme le marathon ne devrait jamais commencer avant l’âge de la maturité adulte, c’est-à- dire 18 ans. Surtout si l’on sait que les enfants sont aussi plus sensibles au réchauffement corporel lors d’exercices effectués dans des conditions climatiques difficiles. Il faut tenir compte de toutes ces différences morphologiques, biomécaniques, physiologiques et psychologiques et cesser de considérer les enfants comme des adultes miniatures. Ils fonctionnent selon leurs propres règles. Ce qui implique, évidemment, des avantages et des inconvénients. La prise en compte de ces spécificités est capitale pour l’éducateur sportif, l’enseignant d’EPS et toute personne chargée d’entraîner dans ces catégories d’âge. Il faut veiller à adapter les programmes. Les individualiser même. A ce propos, on conseille de tenir compte de l’âge pubertaire, qui définit le passage d’un modèle vers l’autre, plutôt que de l’âge réel qui, en l’occurrence, n’apporte pas grand-chose.

Clin d’oeil…

Alors qu’il finit sa première année en STAPS à Font-Romeu, Nils qui était en Terminale ES l’année dernière, se rappelle au bon souvenir de l’AFLEC avec quelques images des cross de la DASSA League qu’il a partagés avec l’équipe du lycée.

Certes, la qualité du son est loin d’être exceptionnelle. Certes, le contenu peut paraître un peu abstrait. Toujours est-il que l’on y apprend :

  • qu’il est important de s’échauffer [tout le monde le sait] pour évaluer son niveau de forme et prévoir sa performance;
  • que plus un coureur est entraîné voire élite, plus il sera capable de se décentrer des sensations de souffrance;
  • que, dans les derniers hectomètres d’une course, le coureur ne peut plus avoir de défaillance quel que soit l’effort consenti.

Exercice physique et développement du cerveau

Boris Cyrulnik, neuropsychiatre, dans une interview pour le revue Londres 2012 : Regards sur le sport, l’olympisme et la société, publiée par le think tank européen Sport et Citoyenneté : « Grâce aux neurosciences et contrairement à ce que l’on pouvait penser, nous sommes en train de découvrir que le sport a un rôle énorme sur le développement du cerveau et de ses apprentissages. […] Chez un skieur qui a l’habitude de visualiser mentalement son parcours avant de s’élancer, la zone postérieure gauche, responsable du langage entre autres, est quatre fois plus épaisse que chez un non sportif. La pratique du sport induit donc une stimulation qui permet que des aptitudes à l’intelligence passent au stade des performances intellectuelles ».

Elèves, levez-vous !

Rester longtemps en position assise est néfaste pour la santé. L’équipe du professeur Jaume Padilla (Université du Missouri) a mené plusieurs enquêtes. Une quinzaine de jeunes devait se tenir assis sur une chaise pendant trois heures, à la suite de quoi on vérifiait l’état des artères de leurs jambes avec un écho-doppler. Cela permet de dépister une « fonction endothéliale ». La stagnation du sang dans les membres inférieurs dégrade la surface intérieure des vaisseaux et entrave la bonne circulation du sang. Cette dysfonction endothéliale est déterminante pour prédire un éventuel infarctus.

Les veines et les artères se maintiennent en meilleure forme si on alterne la position assise avec a minima des exercices de marche.

Intéressant dans le débat récurrent sur l’organisation pédagogique des cours : salle de classe/salle de professeur ou de discipline ? Dans tous les cas, levez-vous régulièrement pour activer la circulation sanguine des jambes.